Je tenais à
vous remercier pour cet engagement au service de la communauté ivoirienne.
Je suis ici depuis une quinzaine d'années. Je suis venu en Belgique en
tant qu'étudiant pour une période transitoire de deux ans. J'aspirais
aller en France par la suite. Mais j'ai fini par rester. J'ai fini mes
études de droit à l'université de Lièges pour ensuite rentrer dans la vie
active.
Avez-vous bénéficié d'une bourse d'étude
ivoirienne ou est-ce que vous êtes venu en tant qu'aventurier?
On peut dire
que je suis venu un peu en aventure. Mais j'ai obtenu un visa étudiant
pour me rendre ici. Par rapport à mon engagement politique et syndical au
sein de la fesci, la situation à un moment donné devenais intenable. Pas
pour moi, mais pour ma famille. Et vous savez dans ces conditions, on
subit souvent quelques pressions familiales et j'ai fini par céder aux
pressions et c'est comme ça que j'ai pris la résolution de quitter le
territoire. Avec l'aide de toute une série de personnes, j'ai pu obtenir
un visa d'étude. Je n'étais donc pas boursier en venant ici. J'ai du me
débrouiller pour finir mes études.
Votre cursus scolaire a-t-il été facile
?
Pas du tout
facile. Je peut même dire qu'en Europe, j'ai failli me perdre. Sans
bourse, ça n'a pas été facile. Au départ, mes parents qui étaient là
m'aidaient un peu. Et à l'époque et ça peu d'étudiant d'aujourd'hui ne le
savent pas, on pouvait pas travailler en cours d'année quand on était un
étudiant africain. Il fallait un permis de travail. Et pour avoir ce
permis, il fallait un contrat de travail. C'était en quelque sorte un
cercle vicieux. Et le travail au noir n'existait quasiment pas. C'a donc
été très difficile de financer les études. A un moment donné, j'ai songé à
tout arrêter. Car les études supérieures en Belgique sont extrêmement
pointues et je n'arrivait pas à joindre les deux bouts à un moment donné.
Comment êtes-vous parvenu à les achever
?
Avec la volonté
et surtout une pensée pour ma famille. Je me suis dit qu'il fallait aller
au bout de se processus pour que ma famille soit fière de moi. C'a donc
été le premier élément déterminant. Deuxième élément déterminant, c'est la
Côte d'Ivoire. En venant ici j'ai vu en moi un genre d'ambassadeur et
j'étais à l'époque le seul étudiant ivoirien à l'université de Lièges. Et
pour moi, c'était comme un sacerdoce de donner une image positive de la
Côte d'Ivoire. Et troisième élément, ce sont les rencontres. J'ai
rencontré des gens très bien comme la famille Leruthe. Ces gens là ont
changé quelque chose dans ma vie parce qu'ils étaient là dans les moments
difficiles. Ce sont eux qui m'ont trouvé mes premiers jobs d'étudiant,
donc mon premier permis de travail.
Comment s'est déroulé le cursus scolaire?
Déjà à Abidjan,
j'étais étudiant en deuxième année de droit. Mais ici j'ai recommencé à
zéro vu qu'il n'y a pas de système d'équivalence entre les deux pays. Mes
deux premières années se sont bien déroulées et la troisième un peu
difficile. J'ai terminé les études en 2000. Et j'aspirais rentrer au
barreau. Je ne le pouvait pas parce que je n'avais pas la nationalité
belge et il n'existait pas d'accord de réciprocité entre la Côte d'Ivoire
et la Belgique. Je suis allé en France où il y a cette réciprocité juste
la veille du passage de mon CAPA, j'ai été appelé en Belgique où j'avais
postulé. C'est comme ça que j'ai eu mon premier poste comme avocat.
Durant toutes ces années quels étaient vos
rapports avec le pays ?
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Je dois dire
que la seule chose dont j'étais sûre en venant ici en Europe, c'est que je
retournerai chez moi. Retourner chez moi voudrait dire qu'il faut garder
un contact permanent avec le pays et préparer cette possibilité de retour.
J'ai l'Afrique et la Côte d'Ivoire dans le cœur. Et pour vous dire que je
tenais tellement au contact avec la source, à l'époque la communication
coûtait chère, j'ai trouvé une parade. Je parlais dans des cassettes que
j'expédiais à mes parents et ils en faisaient autant. Et j'ai comme ça
toute une collection de cassettes.
Depuis combien d'année êtes-vous dans le
milieu des avocats ?
Cela va faire
bientôt cinq ans. J'ai travaillé d'abord en
qualité de juriste puis d''avocat-collaborateur au sein du cabinet Adrien
ABSIL spécialisé en droit des sociétés. Depuis un an, je me suis installé
à Bruxelles où j'ai ouvert mon bureau dans le cadre d'un groupement avec
des avocats belges et français dont Michel GRAINDORGE, un éminent
pénaliste, internationalement reconnu. je pratique essentiellement mais
néanmoins sans exclusive le droit des sociétés et des contrats, de même
que le droit pénal, le droit social et le droit des étrangers . Mon bureau
est établi à Etterbeek, avenue du Cdt Lothaire, à deux pas de la place
Montgomery.
A-t-il été facile pour vous de vous faire
accepter dans ce milieu ?
Moi je met tout
sur le compte de la chance. Mais pour vous dire la vérité, je ne dirai pas
que c'est facile. Le système est tel qu'il y a des étapes à franchir. Si
vous voulez rentrer au barreau, il vous faut d'abord trouver un cabinet et
y exercer en tant que stagiaire. Et la difficulté réside dans le fait de
trouver un cabinet. Pour la plupart des avocats africains, ce n'est pas
aisé.
Dans votre carrière,
avez-vous été souvent confronté à des dossiers délicats
?
Ca dépend de la
connotation donnée au mot délicat. J'ai effectivement eu à traiter
certains dossiers que je pourrais qualifier de délicats car ils vous
mettent face à vos convictions morales. Le cas d'un pédophile avéré dans
la région Verviétoise qui a violé pratiquement toute sa famille et qui
n'éprouvait aucun regret. J'ai du d'ailleurs me désengagé. Le cas aussi de
parents qui maltraitaient un enfant handicapé. Ca m'a permis de comprendre
que les institutions judiciaires et sociales prennent le pas sur
l'éducation des enfants.
Cela vous est-il arrivé de défendre
certains de vos compatriotes ?
Dans mes
premières années je ne pratiquais quasiment pas le droit des étrangers.
Mais à force d'être sollicité, j'ai fini par suivre quelques formations.
Je suis appelés quelques fois à intervenir. Notamment dans les cas de
personnes demandant l'asile politique. C'est un droit que je déteste parce
que c'est un droit dans lequel nous sommes impuissants. Je ne m'imaginais
pas qu'on parle de droit des étrangers. Or il y a un droit spécifique aux
étrangers. Dans l'appellation, il y a déjà une forme d'exclusion. En moins
d'un mois j'ai été amené à traiter trois cas d'ivoiriens arrêtés à
l'aéroport de Zaventem alors qu'ils disposaient de visas en bonne forme et
qu'ils étaient simplement en transit en Belgique en partance pour
l'Italie. Je tiens vraiment à ce que vous attiriez l’attention de nos
compatriotes et les autorités sur cette situation que j’estime tout fait
scandaleuse. L’aéroport de Zaventem est un piège pour les africains. Même
résidant en Belgique, car j’ai souvent défendu des personnes vivant déjà
ici mais qui pour avoir oublié certains documents, ont été soumises aux
pires humiliations et maintenues au sous sol de l’aéroport dans un centre
qu’on appelle Rinate. Il faut informer les gens. Si tu es un africain que
tu arrives à l’aéroport de Zaventem, tu peux être arrêté sans motif. Et la
seule chose qui guide les policiers flamands de Zaventem, c’est de vous
faire retourner dans votre pays. Il y a des tortures psychologiques et
physiques sans possibilité de contacter un avocat. On vous remet une
décision qui est libellée en flamand et vous ne savez même pas de quoi il
s’agit. Rien que pour vous persuader que vous devez retourner dans votre
pays. Du coup vous avez des gens qui sont désemparés. Aujourd’hui j’ai
envi de me battre pour que cette situation change. Il y a aujourd’hui des
avocats qui font des actions au niveau de l’Europe pour que les choses
évoluent et je n’exclue pas de me joindre à eux.
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Avez-vous des contacts avec la communauté
ivoirienne de Belgique ?
Je fais tout
pour avoir ce contact. Lorsque j’étais dans la région liégeoise je me
suis toujours évertué à ce que cette communauté soit visible et organisée.
J’étais choqué par la désorganisation complète de la communauté. Les
ambitions personnelles des uns et des autres bloquaient la progression de
la communauté. Ma dernière action en faveur de la communauté, c’est
d’avoir apporté ma modeste contribution pour porter sur les fonds
baptismaux le collectif des associations ivoiriennes du Benelux
qui a donné naissance aujourd’hui à la Cibel (Communauté ivoirienne de
Belgique). Pour moi c’est fondamental que la communauté s’organise. Nous
avons un potentiel énorme dont on n’a pas conscience.
Quel est votre statut matrimonial ?
Je vie depuis
environs neuf ans en ménage avec ma compagne, mademoiselle, Germaine Akou.
Nous vivons un peu dans le péché. Je l’ai rencontré à l’université de
Lièges quand j’étais responsable des étudiants africains de l’université.
Elle a sa maîtrise en sociologie à l’université d’Abidjan. Elle est venue
poursuivre ses études ici. Notamment en sociologie et en gestion de
développement. Et depuis notre chemin suit son cours. Je dois dire que
c’est très important pour moi d’avoir rencontré cette personne. Et je
crois que l'un des points qui permettent de s’encrer dans ses objectifs
ici en Europe, c’est soit d’avoir des parents à côté, soit d’avoir dans sa
vie quelqu’un avec qui on est en phase. Nous allons régulariser notre
situation bientôt devant le bourgmestre.
Etes vous un noceur ?
J’aime beaucoup
me retrouver par moment dans des endroits où la communauté africaine se
retrouve. J’ai un coup de cœur pour un restaurant « l’Ebrié » tenu par
deux jeunes ivoiriens à qui je tire mon chapeau pour leur
professionnalisme. Dans la communauté, il y a ce manque d’espace que
j’attribue à un manque d’ambition. A un moment donné j’ai évité les maquis
ivoiriens où les gens ont gardé cette fâcheuse habitude des bagarres. Je
voudrais par votre biais lancer un appel aux ivoiriens qu’il faut se
soutenir. Lorsque l’un développe une affaire, il faut que les autres le
soutiennent.
Quel est votre genre musical ?
Nous, nous
sommes de la génération zouglou. Le zouglou a été créé quasiment par nous
à la cité de Yopougon avec les Didier Bilé. Je reste dons dans la «
zougloufamilly ». C’est vrai qu’on a connu maintenant le couper décaler
avec les Dj, mais je ne suis pas trop ce mouvement. Il y a une chose
extraordinaire qui s’est passée dans ma vie, c’est quand je suis arrivé en
Europe que je me suis rendu compte que nous avons l’une des meilleures
musiques du monde. Et ce n’est qu’une fois ici que j’ai commencé à écouter
la musique traditionnelle ivoirienne. Allah Thérèse, la Tigresse Sidonie,
la musique traditionnelle bété, la musique classique africaine qui pour
moi est la musique manding. Mais mon coup de cœur va à Dobet Gnahoré mal
connue de ses compatriotes mais bien connu à travers le monde.
Côté sports…
J’ai pratiqué
le volley quand j’étais étudiant. Je suis supporter de l’Asec d’Abidjan et
fou des Eléphants de Côte d’Ivoire.
Sidibé
Lancina
Le Latéral info, Bruxelles
sidiblancina@lateralinfo.net
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