INCERTITUDE DES ELECTIONS
Gbagbo cherche nouveau Premier Ministre
Ne voulant pas
s’attaquer de front à l’accord politique de Ouaga et déclarer sa mort,
Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée Nationale a déversé sa
colère sur Désiré Tagro.
Après
les déclarations inattendues du président de l’Assemblée Nationale, on
est en droit d’affirmer désormais que les ivoiriens sont bien habitués
aux retournements spectaculaires de situation du pouvoir en place, qui a
plus d’un tour dans son sac pour demeurer aussi longtemps que possible
au pouvoir. L’on est également habitué aux passes d’armes entre Gbagbo
et Koulibaly en vue de saboter la mise en œuvre des accords de paix,
précédemment signés lorsque la situation n’est guère en leur faveur. La
récente sortie du président de l’Assemblée nationale accusant le camp
auquel il appartient de graves malversations, de détournements de fonds,
d’enrichissement illicite, de corruption et de népotisme n’est-elle pas
le signe d’un nouveau coup
que prépare Laurent Gbagbo? Décryptage.
Même s’il est l’initiateur du dialogue direct de Ouagadougou qui a
abouti sur l’accord politique signé en août 2007, Laurent Gbagbo ne l’a
pas fait de gaîté de cœur. Pour deux raisons: Primo, Laurent Gbagbo
ayant perdu la sympathie de la communauté internationale, ayant peur que
le Burkina ne soit plus une base arrière en cas de reprises des
hostilités, il se tourne vers Blaise Compaoré pour lui proposer la
médiation. La stratégie consistait à l’amadouer et profiter de sa
sympathie, lui, longtemps accusé d’être l’un des parrains de la
rébellion ivoirienne. Le président du Faso ne voit pas d’un mauvais œil
la passe que Gbagbo lui fait. Lui, un dictateur reconverti en faiseur de
paix croit accroître son aura d’homme de paix au plan international.
Avec une petite chance de voir figurer son nom dans les nominés du prix
Nobel de la paix. Il ne pouvait donc pas cracher sur le plat que lui
tendait Gbagbo. Ce premier “Anangoplan” de Laurent Gbagbo, a bien marché
car, á côté des crises presqu’insignifiantes
de pays tels
le Togo, intervenir dans le problème ivoirien donne bien des
gallons. Compaoré n’a, en tout cas, pas boudé son plaisir. Le ballet
incessant des leaders politiques ivoiriens
au palais de Ouaga lui ont certes donné un virtuel crédit aux
Nations Unies. Laurent Gbagbo savait que Compaoré ayant joué un rôle
déterminant dans le déclenchement du conflit, il ne pouvait en aucun cas
prendre de décision capable de froisser certaines de ses affinités. Et
les gestes d’amitiés d’une hypocrisie tranchante de Laurent Gbagbo
envers son homologue se sont multipliés. En plus de ses visites
d’amitiés et d’Etats,
Laurent Gbagbo n’a pas hésité á faire un don financier au Burkina lors
de l’inondation qui a touché ce pays alors qu’à Abidjan, les éboulements
de terrains tuaient des dizaines d’ivoiriens. Gbagbo venait ainsi de
mettre dans sa poche un voisin encombrant et dangereux.
Secundo, le patron du Front Populaire Ivoirien (FPI), avait dans la
ligne de mire, Allassane Dramane Ouattara, le président du Rassemblement
des Républicains (RDR) et Guillaume Soro, l’actuel secrétaire Général
des Forces Nouvelles. En effet en positionnant Guillaume Soro, fils du
nord, comme premier ministre, ce dernier devient du coup l’une des
figures politiques emblématiques du Nord, donc un concurrent sérieux
d’ADO. Désormais Soro avec son armée grignote une grande partie de la
côte de sympathie du leader du RDR et s’affiche en toute évidence comme
le vrai libérateur du nord.
Même si son bilan est loin d’être positif au vu du désastre et les
assassinats qu’il a
occasionnés dans cette partie
du pays, il crie à qui veut l’entendre que c’est grâce á lui que
les ivoiriens auront des papiers et qu’ADO est candidat à la
présidentielle. Et même si les deux camps veulent sauver les apparences
avec des déclarations courtoises et de sympathie, l’on sait que ADO et
Soro sont des rivaux politiques car buvant dans le même marigot. Soro
encore jeune, joue à souhait la carte du future quand ADO essaie de
préserver ce qui reste comme militants au nord, contrôlés par Soro et
son administration.
En acceptant le poste de premier ministre, Soro savait qu’il jouait á
quitte ou double avec un
couteau
à double
tranchants.
Soit il réussit à se bâtir une carrière politique, soit il sort molesté
de la partie. L’ancien et le très éloquent secrétaire de
la FESCI n’est pas loin du second scenario.
La récente et bien planifiée sortie de Mamadou Koulibaly va dans le sens
de la liquidation politique du premier ministre. Les attaques du
président de l’Assemblée Nationale, accusant Désiré Tagro de corruption
et de perception de pots de vins avec Sagem et d’avoir signé l’accord de
Ouaga vise en réalité le premier ministre Guillaume. La corruption, le
népotisme, les concours payants de l’école normale de l’administration
(ENA), des écoles de la police et de la gendarmerie sont gravissime
depuis 2001, soit un an
après que le FPI soit monté au pouvoir. Pourquoi Koulibaly qui continue
de bénéficier de ce système corrompu n’a t-il pas dénoncé cela plus tôt?
Pourquoi continue-t-il d’être la tête d’une institution dont le
mandat a expiré depuis 2005 et qui ne reflète pas le paysage politique
ivoirien car le RDR n’y siège pas? Pourquoi Koulibaly s’en prendrait à
un camarade alors qu’il n’est pas le seul à voler? En effet, affaiblir
Tagro, c’est toucher Soro car les deux ont un dénominateur commun:
L’accord politique de Ouaga et la Compagnie Sagem.
En mettant en cause Tagro d’avoir signé un faux accord qui ne met
pas fin á la crise, Koulibaly annonce ainsi la mort de l’APO et ainsi
l’éviction de Soro. En accusant Tagro d’avoir perçu des pots de vins
avec sagem chargé d’élaborer les cartes d’électeurs et les cartes
d’identités, Mamadou Koulibaly accuse directement Soro de corruption,
lui qui a bataillé dure contre Gbagbo afin que cette entreprise
intervienne le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire. En
claquant la porte lors de l’accord de Marcoussis, le président de
l’Assemblée nationale n’avait-il pas
précipité l’échec de cet accord et celui de Seydou Diarra, le
premier ministre d’alors?
Nouvel accord, nouveau premier ministre
Mamadou
Koulibaly a servi de ballon d’essai. Et comme en politique, il faut
faire de grands sacrifices, Désiré Tagro a servi d’agneau. Laurent
Gbagbo ayant obtenu tout ce qu’il veut de la rébellion, c’est-á-dire,
redonné la confiance à la communauté
internationale, aux ivoiriens et au milieu des affaires. Il
compte maintenant passer à une autre phase de son plan, celle de signer
un autre accord peut-être avec le véritable chef de la rébellion
ivoirienne capable de désarmer les soldats et ainsi former un nouveau
gouvernement. En effet, Gbagbo savait depuis toujours que Soro, n’étant
pas le chef de la rébellion, il lui sera incapable d’exercer une
quelconque pression sur les chefs de guerre en vue du désarmement. Une
chose qui se confirme, car au fur et á mesure que les partis s’attèlent
à ce que la liste électorale soit établie, le désarmement tant annoncé
par l’Apo ne pointe pas à l’horizon. Ou du moins balbutie. L’on assiste
à des débuts de cantonnements sans effets. Lors d’une interview
sur la première chaîne de la télévision ivoirienne, il y a
quelques semaines et encore disponible sur le site internet de
la COJEP, Blé Goudé a répété plus d’une fois que “si
Soro ne peut pas désarmer ses gens qu’il le dise pour qu’on s’adresse au
vrai chef de la rébellion”. Et vlan! La Sortie de Mamadou Koulibaly
est plus diplomatique, plus intelligente et moins frustrante que celle
de Blé Goudé. Si l’enquête du procureur de la république met en cause la Sagem d’avoir corrompu Désiré
Tagro, le ministre de l’intérieur, alors l’enquête pourrait se
poursuivre dans les bureaux de la primature car c’est sur insistance de
Guillaume Soro que la Sagem a été sélectionné sans
appel d’offre à être opérateur technique du processus électoral. L’on se
rappelle que le défunt “Le
Courrier D’Abidjan”, quotidien très proche de Mamadou Koulibay avait
fait écho en son temps d’un deal, qui ressemblerait à de la corruption,
entre Soro et Kangnassi,le patron de Sagem. De là à faire un parallèle
avec les accusations du président de l’Assemblée nationale contre Tagro
il n’y a qu’un pas. Mais en attendant, tout semble être réuni pour un
nouveau gouvernement sans Soro peut-être car l’accord de Ouaga n’a pas
réussit sa mission, celle d’organiser les élections.
Kouakou Yao
Le Latéral info, Berlin
kouakou_yao@lateralinfo.net
|